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COP26 : Immersion au sein d’un bal médiatisé
"Le complexe de la blue zone est immense, on entend parler anglais, mais ce que nos yeux nous transmettent est une réalité bien moins homogène. Du costard cravate au chapeau de plumes et maquillage indien, chacun exprime sans mot la raison pour laquelle il a enfilé ses souliers ce matin pour entrer dans la zone de négociations..."

Devant le piano de Glasgow Central, le 13 novembre 2021 la JAC team COP26 immortalise le moment en prenant la pose tout sourire, masque-off. La vingtaine de clichés identiques n’illustrera pas cette fois les mille idées et le tsunami d’énergie dont nous sommes encore électrifiés après une semaine passée dans les couloirs du sommet onusien, à la croisée des chemins entre monde activiste et arène politique. 

Devant les casiers à bagages de la gare, Corentin se résigne à garder sa pancarte de manifestation : “The laws of physics don’t change ! So change yours” illustrée de quelques formules mathématiques que je ne saurais décrire ici. Le bout de carton innocent vibre encore des échos des chants de la marche de vendredi : “We are unstoppable, another world is possible”, “The people united can never be defeated », “Keep 1.5 alive”, “Keep the oil back into the soil”, ainsi que le célèbre “What do we want ? – Climate justice ! – When do we want it ? – Now !”. 

Ces phrases nous les avons entendues en anglais, en espagnol, en portugais, en français … mais au milieu de cette marée humaine d’une jeunesse internationale, les innombrables journalistes l’auront compris, la langue importe peu. Sud ou Nord, le message est le même, et seul change l’écho intérieur de l’expérience que chacun fait de la tragédie – de ses peurs et de son expérience des dégâts déjà causés à ses pairs. 

Dans la Blue Zone

Le complexe de la blue zone est immense, on entend parler anglais, mais ce que nos yeux nous transmettent est une réalité bien moins homogène. Du costard cravate au chapeau de plumes et maquillage indien, chacun exprime sans mot la raison pour laquelle il a enfilé ses souliers ce matin pour entrer dans la zone de négociations : faire valoir ses revendications et influencer le wording des négos, remplir son CV et donner des cartes de visites, récupérer des pin’s et du café gratuit aux pavillons … la COP est un carnaval où chacun y trouve son compte. 

Avant 9h les constituantes (Young, Business, ONG, Cities, Scientists, indigènes…) se réunissent pour faire le point sur les avancées des négos ; une sorte de newsletter en direct au cours de laquelle chaque équipe s’énergise et établit la stratégie à suivre pour la journée. A 9h, c’est l’ouverture du service biscuits et café gratuit dans les nombreux pavillons. Un service qui ne s’arrêtera pas de la journée et se transformera en apéritif dinatoire à l’heure venue. 

Visiter la zone des pavillons, c’est un peu comme se téléporter d’une planète à l’autre en deux temps trois mouvements. L’atmosphère du pavillon du Qatar est à mille années-lumière de celle du pavillon indigène ou de WWF, et même si le ronronnement continu des mots “sustainable”, « electric », “green” ne s’éteint jamais, l’évidence est que les intérêts et priorités divergent foncièrement et parfois radicalement. 

Pourquoi les COP nous déçoivent-elles à chaque fois ?

En tant qu’observateur, il est aussi de notre devoir de chercher à comprendre pourquoi les COP parviennent avec tant de virtuosité à décevoir la société civile, et face à quel plafond la gouvernance mondiale est confrontée.

Un premier élément est – il me semble – que ce bal est très médiatisé, et du fait des nombreuses promesses faites pour justifier tous les moyens sollicités pour l’événement, les attentes de résultats sont très exigeantes. Cependant, le sommet n’a pas vocation à trouver des solutions directes aux effets du changement climatique, ni de corriger directement les failles des systèmes politiques des États. Le sommet a pour vocation de retravailler le wording utilisé dans les textes, pour y définir un ordre de priorités, et créer une “to do list” que chaque membre est supposé adapter a sa structure (économique, juridique, sociale…) et de créer des coalitions multi ou bilatérales qui porteront un projet (ex: BOGA) pour aider les partis à se surpasser.

“Think global, act local” : un second élément est que la COP n’a pas vocation à proposer des actions concrètes, mais à créer un environnement favorable à l’empowerment des acteurs engagés désirant le changement. Modifier les lois, canaliser les financements, rendre certaines pratiques “à la mode”…. 

Pourquoi s’acharner à décevoir le monde chaque année ? Pourquoi de telles promesses sont faites pour finalement ne pas être tenues ?  : La théorie de l’échec délibéré des COP

Les hommes de pouvoir sont parfois des mastodontes de porcelaine. S’ils se retournent brutalement et agissent radicalement pour la transition ils risquent de briser tous les liens qui les rattachent au pouvoir, et alors ne seraient plus d’utilité pour influencer la trajectoire du pays. Peut être que finalement, les leaders du monde demandent au faisceau qui les éclaire d’illuminer l’événement de la COP pour que le monde s’empare du problème et arrête d’attendre quelque chose “d’en haut”.

Alors, par la COP, peut-être qu’ils crient au monde : “Regardez l’absurdité de cet événement,  on vient en Jet privé, on parle des heures pour un résultat peu efficient. Ne voyez-vous pas que cette bêtise est un appel au monde à se rebeller, à manifester, à forcer les gouvernements à changer en eux-mêmes ?” 

En 1937 – Roosevelt, face aux revendications des syndicats aurait dit : « Descendez dans la rue et obligez-moi à le faire. » 

Un gouverneur a beau être de bonne volonté, il a besoin du soutien et de la confiance de la population. C’est une tâche nouvelle, le risque de perdre sa crédibilité par une mauvaise manœuvre est grand. C’est à nous de lui dire que nous acceptons ses erreurs tant que nous voyons qu’il œuvre pour la transition. La bataille ne commencera jamais si la société civile ne les pousse pas en leur disant qu’on les soutient, qu’on a placé plein de petits indices sur leur chemin pour se repérer, en faisant des tests au local depuis des années, on a expérimenté des modes de vie qu’on leur demande d’appliquer au national, ils ne sont pas seuls. 

Le gouvernement est trop complexe et infiltré de mille et un intérêts divergents et peu conciliants avec le bien commun.  Alors oui, peut être que le message de la COP est “Regardez notre incompétence, le changement doit venir de vous la société civile”. 

La COP est très critiquée, et lorsqu’on critique le blabla de la COP on vise l’inaction des dirigeants qui sont responsables de l’organisation, de l’avancée de négos et du bon déroulement général. Cependant, à la COP ce sont des techniciens qui négocient, des activistes qui organisent des conférences et manifestent, des salariés banals qui tiennent les pavillons…. On voit alors que l’avancée des négociations dépend de l’humeur et de la fatigue des négociateurs, et de la capacité des sides-events à lancer un message clair, voire à rédiger des propositions de textes, qui parviendront jusqu’aux salles de négociations. C’est ainsi que le dernier jeudi, alors que certains commençaient à dormir dans les couloirs entre deux meetings, les délégués nationaux ont pu trouver ce mot devant leur bureaux :

Une réflexion post-COP

Avant de finir, j’aimerais revenir sur une réflexion post-COP :

On défend sa légitimité à avoir été là, pendant ce grand sommet. Pour montrer qu’on a optimisé l’expérience, on apprend nous aussi par cœur le jargon de la COP, on parle par affirmations et on fait semblant de savoir où on va et où va le monde, alors qu’en réalité tout ce qu’on en retient, c’est un ouragan de questions. En réunion on cherche à savoir ce qu’on vise réellement en allant à la COP; faire du plaidoyer, convaincre un député, partager notre expérience, faire des tribunes ? Mais l’objectif n’est il pas finalement de comprendre les codes de la cour des grands pour pouvoir prendre le relais et établir un dialogue plus équitable ?

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