1 Une double vulnérabilité : changement climatique et transition
1.1 Changement climatique : un pays inhabitable d’ici 2100 ?
La situation géographique de l’Arabie saoudite en fait l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique. Entre montée du niveau de la mer, hausse des températures, tempêtes de sable, cyclones et approvisionnement en eau douce, le territoire saoudien est particulièrement fragile.
Traversé par le tropique du cancer, le territoire saoudien connaîtra en particulier des vagues de chaleur plus fortes et plus longues qu’aujourd’hui. Alors qu’entre 1986 et 2005, les canicules duraient en moyenne 16 jours, elles pourront atteindre 80 jours en 2050 et 100 jours vers 2100, d’après une étude publiée dans Climatic Change. Les températures pourraient même dépasser le seuil d’adaptabilité de l’homme et mettre en péril la possibilité de la vie humaine dans ces régions, selon cette étude publiée par Nature Climate Change.
Les ressources en eau douce sont également au cœur des enjeux pour la région. Le stress hydrique est déjà une réalité pour le pays où la consommation est très élevée : 362 litres en moyenne par jour et par habitant (contre 148 pour la France et 137 pour le monde). En 2019, cette eau provenait à 70% des usines de dessalement d’eau de mer, très gourmandes en énergie, à 24% de nappes phréatiques non renouvelables, et à 6% de sources renouvelables. Les usines de dessalement devraient fournir 90% de l’eau potable au royaume d’ici 2025, d’après cette analyse. Avec la baisse de la pluviométrie et l’intensification des périodes de sécheresse, la gestion de cette ressource est un défi crucial pour maintenir la production alimentaire.
1.2 Sortir des énergies fossiles : la vulnérabilité saoudienne à la transition
Étant donné les technologies à notre disposition, une transition vers un mode de vie compatible avec un réchauffement global inférieur à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle implique une réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES), et donc une réduction du recours aux énergies fossiles. Or, si l’Arabie saoudite est le pays le plus riche du monde arabe et la 19e économie mondiale, son économie est particulièrement fragile car dépendante d’une seule source de revenus : la rente pétrolière.
La production pétrolière représentait en 2020 plus de 60% des recettes de l’Etat et près de la moitié de son PIB. Cette dépendance est un fléau pour le pays, qui met en place des politiques de diversification de son économie pour faire face à la baisse des prix du pétrole, aux quotas de production mis en place par l’OPEP et aux fluctuations de la demande mondiale, dont le pic pourrait être atteint dès 2026 d’après l’agence internationale de l’énergie (AIE). Cette diversification est l’objet du plan Vision 2030 lancé en 2016 par Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite et vice premier ministre.
Le défi que représente la transition pour l’Arabie saoudite n’est pas seulement économique. La structure sociale et politique du royaume repose sur les revenus issus du pétrole, et c’est toute cette structure qui est remise en cause. Le contrat social saoudien repose sur l’exploitation pétrolière et les revenus qu’elle génère. Sortir des énergies fossiles, c’est questionner la légitimité du pouvoir en place, chose rare dans cette monarchie sans société civile. En outre, l’Arabie saoudite est 6e au classement mondial de la consommation de pétrole. Le bilan carbone individuel s’élève ainsi à 17 tCO2e par habitant en 2019, ce qui représente dix fois plus que l’objectif visé pour limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport aux moyennes de l’ère préindustrielle. Le pays a donc tout intérêt d’être aux commandes de cette transition qui affectera son modèle sans doute plus que beaucoup d’autres sociétés.
2 L’Arabie saoudite à la COP26 : la mise en scène de l’ambition
2.1 Développer des nouveaux récits : greenwashing ou changement de paradigme ?
Depuis 2015, l’Arabie saoudite a multiplié les grandes annonces mettant en scène son engagement dans la course mondiale de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La dernière en date a fait parler d’elle : l’Arabie saoudite s’engage à atteindre la neutralité carbone en 2060. Cet objectif ambitieux s’inscrit dans la Saudi Green Initiative, le plan mis au point par Mohammed Ben Salmane pour mettre le royaume sur la voie de la neutralité carbone.
Quand on y regarde de plus près, cette initiative repose entièrement sur le concept de la Carbon circular economy (CCE), concept assez neuf, manipulé par toutes les bouches sur le pavillon saoudien à la COP26. Les communicants sur le pavillon rappellent avec fierté l’adoption de ce concept dans la déclaration finale commune des chefs d’Etat et de gouvernement du G20 tenu à Riyadh en 2020. Un acteur clef sur lequel l’Arabie saoudite s’appuie pour légitimer ses affirmations est le think-tank King Abdullah Petroleum Studies And Research Center (KAPSARC), financé par le royaume et présidé par le ministre saoudien de l’énergie, le frère du prince héritier. Dernière invention en date : le Carbon circular economy Index, développé sur mesure pour l’Arabie saoudite… pratique !
La communication du royaume sur son investissement dans la transition mondiale est omniprésente, que ce soit avec le projet Neom et sa ville futuriste The Line, ou les projets gigantesques de centrales solaires et éoliennes. Cependant, aucun plan concret de sortie des énergies fossiles n’est envisagé, l’ensemble de la stratégie saoudienne reposant sur la compensation des émissions. Ainsi les technologies de capture et de stockage du carbone sont au centre des discours saoudiens, là où, pour l’heure, elles restent à un stade expérimental et ne permettent pas de renoncer à l’atténuation des émissions.
On peut donc s’interroger légitimement sur l’honnêteté du royaume quant à sa stratégie de diversification de son économie, qu’il maquille de vert quand il s’adresse à un public international. Est-ce par prise de conscience des enjeux écologiques ou par opportunisme politique ? Sans doute les deux : l’Arabie saoudite a tout à gagner à montrer (si ce n’est à agir) qu’elle se préoccupe du climat pour asseoir à l’international une certaine image précieuse dans ses relations avec ses voisins et les puissances occidentales. Mais elle a aussi beaucoup à perdre à ne pas être pilote de la transition mondiale qui se fera quoi qu’il arrive et dont elle subira les conséquences.
2.2 Des discours à la pratique : l’Arabie saoudite à la COP26
L’Arabie saoudite s’est particulièrement investie dans la COP26. Avec sa délégation nombreuse, son grand pavillon doté d’une salle de conférence, d’un salon, et d’un étage de bureaux et sa communication millimétrée sur la Saudi Green Initiative, elle n’a pas manqué de se faire remarquer.
Derrière les discours, que révèle l’action du royaume lors de ce sommet pour le climat ? D’abord, pour l’Arabie saoudite, tout l’enjeu de la transition réside dans le secteur de l’énergie. En témoigne la programmation de son pavillon, destinée à promouvoir les politiques du prince héritier et proposant une foule de conférences sur l’énergie. Les autres pavillons avaient pourtant fait un effort pour suivre les journées thématiques proposées par la présidence britannique (nature, finance, transport…). Discutant avec un Britannique, habitant à Dubaï, travaillant pour le ministère saoudien du tourisme et chargé de communication au sein de la délégation (tout ça oui !), celui-ci m’indique ne pas être en mesure de me parler de l’action du royaume pour lutter contre le changement climatique et que je devrais plutôt me tourner vers ses collègues du ministère de l’énergie… révélateur.
Les grands discours et le revirement du pays au regard des réductions d’émission de GES ne semblent pas s’être traduits en acte dans le cadre des négociations. La délégation saoudienne a poursuivi ses stratégies habituelles d’obstruction aux négociations, comme lors de cette plénière consacrée à l’article 6 où l’intervention de la négociatrice saoudienne a mis un terme à la session, le facilitateur estimant que les réclamations exprimées sortaient du cadre défini au début de la rencontre. En ce qui concerne la coordination entre les Etats du groupe arabe, l’Arabie saoudite a, semble-t-il, conservé son rôle de leader. Beaucoup d’énergie, c’est le cas de le dire, a été déployée par le royaume pour changer le langage dans le texte final de la COP26 (le Pacte de Glasgow), et en particulier en vue de retirer la mention de la sortie des énergies fossiles dans le texte.
3 Alors, prise de conscience sincère ou hypocrisie ? La vulnérabilité n’est pas l’impuissance
Finalement, l’Arabie saoudite se trouve à un moment crucial où elle doit prendre à bras le corps une remise en question profonde de sa structure économique, politique et sociale, voire même de son identité. Il y a certainement une prise de conscience crue de cette vulnérabilité du royaume au changement climatique et à la transition, qui motive les annonces ambitieuses faites ces dernières années.
Évidemment, on peut douter que ces annonces soient suivies d’effet et il ne s’agit pas de confondre vulnérabilité et impuissance. L’Arabie saoudite est un pays vulnérable, mais puissant. C’est là la chance qu’elle doit saisir : en tant qu’acteur puissant de l’économie du carbone, elle a une marge de manœuvre importante et les ressources pour se réinventer avant que ses fragilités ne la mettent en difficulté.
Pour aller plus loin
Le décryptage des ambitions climatiques de l’Arabie saoudite par Climate Action Tracker : https://climateactiontracker.org/countries/saudi-arabia/
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