Nicolas Imbert, pouvez-vous vous présenter ? Qu’est-ce que la Green Cross ?
Bien sûr. Je suis actuellement le directeur exécutif de Green Cross France et Territoires, une ONG fondée en 1993 par Gorbatchev avec l’explorateur Jean-Michel Cousteau, le fils de Jacques-Yves Cousteau, le fameux « commandant Cousteau ». Notre organisation est née du Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio en 1992, dans une perspective écologiste et humaniste, afin de lier les enjeux de résilience humaine et des territoires. Aujourd’hui nous sommes implantés dans de nombreux territoires, où nous menons des projets relatifs à l’économie circulaire, à l’agriculture et l’alimentation, à la solidarité, à la prévention des conflits, ou encore à la gestion de l’eau. Par exemple, notre dernière action s’est tenue en septembre dernier à Dunkerque sur ce sujet : nous avons réuni et fait dialoguer les territoires, les parties prenantes, les pays mais également les générations, pour aboutir à des propositions concrètes sur une meilleure résilience dans la gestion des ressources en eau.
Quel a été votre parcours avant d’arriver à votre poste au sein de l’ONG Green Cross France et territoire ?
Au départ, j’ai suivi une formation d’ingénieur et avant de changer de cap pour bifurquer vers le monde des ONG et de rejoindre Green Cross, il y a quinze ans, je travaillais en tant que conseiller stratégie en développement durable pour aider des acteurs privés à verdir leurs activités.
Que faites-vous dans la COP en tant que représentant d’une ONG, et quels sont vos outils pour agir au sein de cette arène internationale ?
Cela fait plus de 12 ans maintenant que je participe aux COP, afin de rencontrer des acteurs (négociateurs, membres de la société civile) et de faire remonter les propositions portées par Green Cross – comme par exemple celles sur la résilience de la gestion de l’eau que nous avons construites cette année. En réalité, le travail se joue surtout en amont des deux semaines de négociations. Près d’un an à l’avance, on commence à cibler nos actions : quelles sont les urgences, quels sujets seront présents ou oubliés dans l’agenda diplomatique de l’année ? Quels sujets aborder en priorité ? Quels sont les messages que nous voulons faire passer, et quelle crédibilité avons-nous pour le faire ? Ainsi, nous construisons notre assise sur les sujets ciblés grâce à un travail de terrain avec les territoires et une pluralité d’acteurs, avant d’aller voir les négociateurs avec des propositions concrètes pour faire avancer les discussions : actions, amendements à ajouter aux textes négociés… Pour faire passer nos idées, nous utilisons tout notre réseau au sein de la COP : parfois, les négociateurs de tel ou tel pays seront sur la même ligne que nous, et pourront ainsi porter nos arguments dans la négociation. Nous publions également des « Policy brief » qui résument nos propositions, afin de partager notre expertise et d’influencer le débat public avec des idées ciblées et efficaces : n’étant pas une énorme ONG comme le World Wildlife Fund (WWF) ou le Environmental Defense Fund (EDF), nous tirons notre force principalement de l’intelligence, de l’applicabilité et de la robustesse de nos propositions !
Quel est votre sujet cette année, et quels sont vos objectifs pour cette COP 26 ?
Cette année, la diplomatie internationale a revêtu des couleurs bleu océan : sur toute l’année, ce sont au total 8 sommets internationaux qui se tiendront sur le sujet de la protection des océans ! One Ocean Summit à Brest, Monaco Ocean Week, World Oceans Day… Nous avons donc choisi de traiter de la question des océans et littoraux lors de cette COP. Notre objectif : faire converger les acteurs, afin d’améliorer les politiques environnementales françaises et internationales en la matière ! Nous plaidons notamment pour un sursaut de responsabilité face à la pêche prédatrice, ainsi que pour la création de nouvelles aires marines protégées. Seul bémol à nos yeux : la dilution de ce sujet dans une multitude de sommets qui donnent une impression d’action, alors que la réalité avance bien moins vite et qu’il reste énormément de chemin à parcourir… C’est pourquoi nous nous appuyons sur nos alliés, comme par exemple l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) ou la Coalition Marocaine pour l’Eau, afin d’unir nos forces ; nous avons ainsi monté une coalition « Climat Objectif Océan » avec l’Agence Spatiale Européenne (ESA) afin de faire émerger des perspectives et rassembler les acteurs sur ce sujet. Ce sont tous ces travaux préliminaires qui renforcent la légitimité de nos propositions lors des COP et des autres sommets internationaux, tout en renforçant l’action et en créant des liens entre acteurs.
Pour en savoir plus sur les océans dans la COP 26.
Quelle est votre analyse sur cette COP [encore en cours au moment de l’entretien] : vos coups de cœur, vos coups de gueule ?
Je suis content de voir que le sujet de la résilience alimentaire est abordé par la Déclaration de Glasgow sur l’alimentation et le climat. Sachant que l’alimentation représente 25% des empreintes de gaz à effet de serre locales, c’est un sujet essentiel et très opérationnel ! Le Duc d’Edimbourg avait d’ailleurs fait de la résilience alimentaire un sujet historiquement fondateur pour l’Ecosse, et c’est loin d’être un hasard si la déclaration est signée ici… J’étais également très enthousiasmé par le discours de Barack Obama, qui évoquait la prise en compte croissante des mouvements de la société civile : plus que jamais, le mur est face à nous, et il décrivait les manifestations comme un levier pour appeler les chefs d’Etat en fonction à prendre les bonnes décisions…
Sur mes « coups de gueule », je dirais : où sont passées l’Union Européenne et la France ? Par le passé, elles ont fait preuve d’un esprit d’initiative important, et leurs propositions (Accord de Paris, le « 4 pour 1000 » pour l’agriculture…) ont marqué les esprits. Là, on a l’impression qu’elles sont présentes pour les petits fours, en revanche lorsqu’il s’agit d’impact, il n’y a plus personne. L’Union européenne ne s’est pas réveillée, et la France a fait une erreur : en bloquant la taxonomie sur l’énergie, on prend le risque de retarder de six mois les mesures de transition énergétique menées par l’UE. C’est une erreur stratégique majeure. Surtout, j’aimerais attirer l’attention sur la finance, encore trop peu présente dans les faits : toute l’attention est focalisée sur le fonds de 100 milliards de dollars promis aux pays en développement pour l’adaptation, mais plus profondément c’est toute la finance mondiale qu’il faut réorienter. Aujourd’hui, seulement 0.4% des outils financiers sont au service de la transition : ce chiffre devrait déjà être de 5 à 10% pour que les choses changent d’ici cinq ans !
Enfin, quels conseils donneriez-vous à des jeunes souhaitant s’engager aujourd’hui ?
Je leur dirais de ne pas hésiter à aller vers une démarche de plaidoyer plus structurée : le message que font passer les Fridays for Future et le mouvement climat de la jeunesse mondial à travers les marches est un moyen, l’autre moyen est de poser des propositions sur la table ! Cela implique évidemment de monter en compétences, mais aussi de travailler sur les notions de conflit, de pression politique… Tout en s’insérant dans des réseaux internationaux existants. Aujourd’hui, le système a besoin d’un électrochoc !
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