En 2020 est paru Les écolos nous mentent ! de Jean de Kervasdoué chez Albin Michel. L’auteur part du constat que l’émotion prime sur la raison chez les écologistes, pour expliquer qu’une grande partie des thèses émises par ces personnes ne tient pas la route face à la raison.
Une partie des thèses qu’il remet en question font pourtant partie des thèses établies dans les rapports du GIEC. Le GIEC est un groupe de plusieurs centaines de chercheurs et chercheuses du monde entier qui a pour but d’identifier le consensus scientifique sur le changement climatique, ses causes et ses conséquences, en expliquant le degré de confiance que nous pouvons avoir dans chaque conclusion. Il synthétise ainsi près de 15 000 articles scientifiques. Un auteur seul ne peut remettre en question ses conclusions, encore moins dans un livre grand public.
De plus, en s’inscrivant dans un mouvement de désinformation, la démarche de l’auteur contribue à retarder l’action face à l’urgence environnementale. Les rapports du GIEC et d’autres enceintes des Nations unies (comme l’OMS) sont formels sur l’urgence de la situation : le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a affirmé que “Le dernier résumé du GIEC est une alerte rouge pour l’humanité”.
En lisant ce livre, j’ai identifié plusieurs thèses établies qu’attaque l’auteur, et je propose ici de fact-checker les arguments avancés dans l’ouvrage sur certains thèmes pour lesquels le consensus scientifique est formel.
1 Autour de la perte de biodiversité
Le chapitre sur ce thème s’intitule “La biodiversité a la vie dure !”, tournure ironique qui remet en question la crise de la biodiversité. Et voici le raisonnement mené par l’auteur pour s’y employer.
D’abord, pour étudier un problème qui concerne le monde entier, il regarde la situation en France :
“Mais au fait, en France, est-elle menacée cette biodiversité ? » (page 35)
pour en tirer une conclusion mondiale au paragraphe suivant :
“C’est un problème, on en conviendra, pas une catastrophe mondiale !” (page 36)
Par ce même raisonnement, en regardant la famine en France, on en déduit que ce n’est pas une catastrophe mondiale. En regardant les violations des droits de l’Homme en France, on en déduit que ce n’est pas une catastrophe mondiale, etc…
Ensuite, pour estimer la menace sur la biodiversité française (puisque la France est représentative du monde !), l’auteur compte les espèces vivant en France :
“donc, en additionnant les végétaux et les animaux, on approche aujourd’hui en France de 5600 espèces. » (page 35)
Et cette comptabilité inclut “les plantes supérieures”, “les vertébrés”, … et c’est tout ! Pas les insectes, les arachnides, les mollusques, les crustacés, les mousses et lichens, etc…
Or, selon l’Inventaire National du Patrimoine Naturel, (INPN), il y a 100 436 espèces inventoriées en France métropolitaine. En plus d’avoir oublié 94% des espèces (pour la métropole, car le chiffre double si on prend en compte l’Outre-Mer), les chiffres avancés par l’auteur pour les espèces qu’il n’oublie pas sont faux. Il n’y a pas 400 espèces d’oiseaux mais 599, il n’y a pas 5000 plantes à fleurs mais 7113, etc…
Pour parler des espèces menacées, l’auteur se fonde sur un article du Figaro, qui annonce que six espèces pourraient disparaître. Sur ces 6 espèces, l’auteur soutient que les seules espèces vraiment menacées sont la Tortue d’Hermann et l’Anguille Européenne. Ce qui fait deux espèces. Selon l’INPN, il y a plus de 2400 espèces menacées en France.
Enfin, l’auteur parvient à expliquer que plus on exploite une forêt, plus la biodiversité y est riche…
“Ajoutons d’ailleurs que moins une forêt est exploitée, plus elle se couvre, ce qui réduit la luminosité ; la biodiversité diminue alors, à moins de faire artificiellement des puits de lumière. » (page 60)
On se passera de commentaires là-dessus…
2 La pollution atmosphérique
On peut lire sur la quatrième de couverture, en rouge, au milieu d’autres affirmations contestées par l’auteur, que “la pollution atmosphérique provoque 48 000 décès par an !”. Il annonce (page 146) que le chiffre de 48 000 est très exagéré car une étude du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) de 2018 affirme que la pollution atmosphérique est responsable de 1384 décès par cancer.
L’auteur va décrédibiliser le danger de la pollution atmosphérique. On peut citer :
“Ceci conduit, par exemple, sans prudence, […] à laisser penser que la pollution atmosphérique serait, en France, à l’origine de 48 000 décès prématurés, fausse nouvelle s’il en est ! » (page 139)
Le chiffre de 48 000 est pourtant celui donné par Santé Publique France, qui met en avant l’ensemble des maladies respiratoires et cardiovasculaires, avec des risques accrus d’AVC, d’augmentation de la pression artérielle, asthme, etc…, et non les seuls cancers. Le chiffre de Santé Publique France et celui du CIRC ne sont donc pas comparables. A l’échelle mondiale, les Nations Unies affirment que la pollution atmosphérique cause 7 millions de décès prématurés par an dans le monde.
3 L’intensification et l’augmentation en fréquence des événements climatiques extrêmes
Après la biodiversité, et la pollution atmosphérique, le changement climatique et ses conséquences sont aussi remis en cause :
“S’il est incontestable que la température du globe s’est accrue de 1°C depuis environ un siècle, les événements pluviométriques extrêmes restent, à ce jour, dans la norme, au sens de la distribution gaussienne des pluies connues depuis plusieurs siècles. » (page 22)
“L’indéniable réchauffement climatique a bon dos ! Si la température moyenne du globe a augmenté de plus de 1°C depuis un siècle, les variations météorologiques ont toujours existé et avec elles les saisons très sèches ou très humides et leurs conséquences sur les productions agricoles et famines. » (page 171)
Commençons par dire que le mot “extreme(s)” apparaît 50 fois en une quarantaine de pages dans le dernier résumé du GIEC (SPM, AR6, WG I, résumé paru le 9 août 2021). Des sections entières sont dédiées aux événements météorologiques extrêmes. En voici quelques extraits :
“Dans les villes côtières, la combinaison d’épisodes extrêmes de montée des eaux plus fréquents (causée par la montée des eaux et la multiplication des tempêtes) et de pluies et crues extrêmes vont rendre les inondations plus probables (forte confiance).”
Section C.2.6.
Ou encore :
“C’est virtuellement certain que les extrêmes de chaleurs (canicules incluses) sont devenus plus fréquents et plus intenses à travers la plupart des régions du globe depuis les années 50.”
Section A.3.1.
A noter que la phrase est au passé : les changements sont déjà observés. Comme l’auteur mentionne aussi les conséquences sur les productions agricoles (conséquences qui ont effectivement toujours existé), mentionnons que le GIEC affirme quand même :
“Le changement climatique causé par les humains a participé à l’augmentation du nombre de sécheresses écologiques et agricoles dans plusieurs régions.”
Section A.3.2
4 Le rôle de l’humain dans le changement climatique en cours
Une attitude fréquente face au changement climatique consiste à minimiser le rôle des humains pour se dédouaner de toute responsabilité des conséquences qu’il a et aura. C’est ce que fait l’auteur.
“Aujourd’hui, nous prétendons tirer des conclusions sur des variations statistiques de la température dont les causes ne sont que partiellement connues.” (page 168)
Les causes ne sont que partiellement connues ? Ce n’est pas vraiment ce que dit le GIEC…
“C’est sans équivoque que le changement climatique causé par les humains a réchauffé l’atmosphère”,
Titre de la première partie du dernier résumé
Pour expliquer les diverses causes du changement climatique, l’auteur va trouver d’autres arguments, jusqu’à pointer du doigt les océans :
“Si l’on constate aujourd’hui sur terre un accroissement du taux de CO2 dans l’air, il provient d’une part de la combustion d’énergies fossiles (charbon, lignite, pétrole, gaz, tourbe, etc.) et de la libération du dioxyde de carbone dissous dans les océans.” (page 31)
D’une part, il est faux de dire que les océans émettent du CO2 : ils stockent du CO2 (on parle de puits de CO2). On peut lire dans le dernier résumé du GIEC :
“Les sols et les océans ont capturés une proportion presque constante (environ 56% par an) des émissions de CO2 issues des activités humaines sur les six dernières décennies.”
Section A.1.1
D’autre part, un quart des émissions de CO2 sont causées par l’agriculture, l’usage des sols et la déforestation (émissions de méthane, CO2 libéré par les arbres coupés et brûlés, protoxyde d’azote venant des engrais …), ce que l’auteur ne mentionne pas. Il ne mentionne pas non plus les émissions liées à la fabrication du ciment par exemple (qui ne correspond pas à la combustion d’énergie fossile).
5 Autour des mégafeux
“Une fois encore, on attribue ces incendies [en parlant des méga-feux en Australie] au réchauffement climatique et il semblerait que des phénomènes météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents. S’il n’est pas interdit de penser que le réchauffement joue un rôle, il ne peut être en réalité que mineur.” (page 28)
Voyons ce que le dernier rapport du GIEC nous dit.
“Les changements spécifiques à certaines régions incluent notamment une augmentation de la saison des feux (confiance entre moyenne et haute).”
Section C.2.4
Selon ce rapport, il y aurait entre 15 en 35 régions du monde concernées par une intensification des feux de forêts. Cela rejoint les idées développées ci-dessus (partie 3) sur les événements extrêmes dont la fréquence et l’intensité augmentent actuellement. Le Haut Conseil pour le Climat a récemment publié un résumé qui met aussi en avant l’expansion des territoires qui vont être sujets à des feux de forêt.
L’auteur explique ensuite que
“Les pics temporaires des incendies ne jouent aucun rôle significatif [dans l’accroissement du taux de CO2 dans l’air].” (page 31)
Encore une fois, cela va à l’encontre du consensus scientifique :
“Les réponses additionnelles des écosystèmes au réchauffement qui ne sont pas encore entièrement prises en compte dans les modèles, notamment les flux de CO2 et CH4 des terres humides, pergélisols et feux de forêts, pourraient augmenter les concentrations de ces gaz dans l’atmosphère.”
Section B.4.3
Si les modèles ne le prennent pas encore en compte, il semblerait que cela contribue à augmenter la concentration en CO2 dans l’atmosphère, ou du moins, on ne peut pas affirmer aussi certainement qu’ils n’y contribuent pas.
6 Raréfaction de l’eau en France et consommation d’eau
A propos de la consommation en eau de l’industrie bovine :
“Selon l’association L214, produire de la viande consommerait beaucoup d’eau.” (page 72)
Selon l’INRAE, il faut entre 550 et 700L d’eau pour produire un kilogramme de viande de bœuf, chiffres que l‘auteur reprend d’ailleurs juste après. Mais peu importe ce que disent des scientifiques sur le sujet, l’auteur préfère faire son propre calcul :
“sachant que le seul chiffre dont on puisse être certain est que, in fine, dans un steak, il y a 70% d’eau donc 0.7 litre.” (sous-entendu : par kilo de viande bovine) (page 73)
L’auteur présente donc deux chiffres scientifiquement établis, la consommation en eau pour faire un kilo de viande bovine (550-700L) et la perturbation du cycle de l’eau associée à cette production (20 à 50 litres), mais préfère finalement les décrédibiliser en affirmant qu’un kilogramme de boeuf ne contient que 0.7 litre d’eau.
A propos du cycle de l’eau :
“La doxa médiatique attribue ces intempéries au récent réchauffement climatique. Mais que pouvait-on observer avant la période actuelle ? Bien pire. Les inondations ne datent pas d’aujourd’hui.” (page 21)
Quoiqu’en disent les médias, le GIEC est formel quant au fait que le cycle de l’eau va s’intensifier et que les fortes précipitations et les inondations vont être de plus en plus fréquentes. En prenant les 500 dernières années d’événements extrêmes, il est évident que l’on va pouvoir trouver des événements climatiques extrêmes aussi. Mais ça n’exclut pas qu’il y en a de plus en plus aujourd’hui.
A propos de la raréfaction de l’eau en France :
“La mouvance alarmiste annonce que la fréquence des catastrophes naturelles devrait augmenter ; l’avenir le dira. En attendant, le climat de la France reste tempéré. L’eau y est abondante.” (page 22)
En réponse, on peut noter que premièrement, l’auteur regarde les conséquences locales d’un problème global (l’effet en France du réchauffement climatique) pour en tirer des conclusions générales, comme pour la perte de biodiversité. Deuxièmement, l’auteur répète sa démarche de décrédibilisation en parlant de “mouvance alarmiste”, alors que ce sont les experts du GIEC qui affirment que la fréquence des événements extrêmes (qui ne sont pas en soit des catastrophes naturelles s’ils ne détruisent rien) va augmenter. Troisièmement, on peut lire sous la plume du Haut Conseil pour le Climat :
“les ressources en eau […] se dégradent en quantité ou/et en qualité.”
Page 11 du rapport du Haut Conseil pour le Climat
Ce rapport mentionne aussi la baisse du débit des cours d’eau.
7 Ordres de grandeurs
“Si l’on rapporte les surfaces agricoles en cultures annuelles à la surface de la Terre, elles n’en représentent que 2.8%. L’agriculture seule ne peut pas être la conséquence de tous les désastres.” (page 67)
Un virus qui pèse quelques femtogrammes peut pourtant tuer un humain. Selon le rapport public du Haut Conseil sur le Climat, l’agriculture représente 19% des émissions de CO2 équivalent en France. À l’échelle mondiale, l’agriculture, l’usage des sols et des forêts correspondent à presque 25% des émissions mondiales de CO2 équivalent (10 à 12 milliards de tonnes selon le 5ième rapport du GIEC, WGIII). L’agriculture à elle seule (sans compter la déforestation qu’elle engendre) représente environ 12% des émissions mondiales (5 à 5,8 milliards de tonnes toujours selon le même rapport).
Il y a enfin tout au long du livre des comparaisons avec des traces d’espèces toxiques. L’auteur commence par s’en prendre aux traces de pesticides :
“avec, soulignons-le, 0.92 millionièmes de gramme par kilo en moyenne.” (page 48)
Donc ce chiffre faible est selon l’auteur un argument suffisant pour dire que ça ne peut pas être dangereux…
“Les trente grammes de produit insecticide ou fongicide qui “pollueraient” le sol représentent donc 10 millièmes de milligrammes par kilo, soit 10 partie par milliard pour le sol.” (page 86)
Encore une fois, un produit présent en faible quantité ne serait donc pas dangereux. Curieux quand même qu’il écrive cinq pages plus tard :
“L’enjeu est donc de savoir à quelle dose un produit peut être toxique.” (page 91)
Effectivement. Donc peut-être que si une étude affirme qu’un produit est dangereux à 0.01 ppm dans le sol, l’argument “c’est quand même peu” ne suffit pas…
Mentionnons cette dernière phrase, que l’auteur est sûrement le seul à avoir comprise :
“Or, la détection est devenue tellement précise que l’on peut faire croire que, parce que le produit est toxique à doses infimes, il va l’être aussi à une dose multipliée par un million.” (page 166, emphase ajoutée)
Si un milligramme de cyanure est toxique, l’auteur a raison, il est vraisemblable qu’un kilo ne le soit pas ! (Quoique… ?) Si vous avez compris cet argument, n’hésitez pas à nous l’expliquer…
Conclusion
Présenter un tel livre comme “scientifique”, comme Albin Michel et la Fnac l’ont fait, discrédite les scientifiques (ceux qui publient dans des revues et font preuve d’honnêteté intellectuelle). Écrire sur le bandeau qui accompagne ce livre “Le véritable état des lieux de la planète” est un pur mensonge, comme le montre assez crûment la comparaison entre les arguments de l’auteur et le consensus explicité dans les rapports scientifiques.
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