Créé en 1988 par la Résolution 43/53 de l’Assemblée générale des Nations unies, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a pour rôle de « [fournir] des évaluations scientifiques, coordonnées à l’échelle internationale, de l’ampleur, de la chronologie et des effets potentiels de l’évolution du climat sur l’environnement et sur les conditions socio-économiques et [de formuler] des stratégies réalistes pour agir sur ces effets ». Avant même la Conférence de Rio (1992) et la première COP (1995), sa création répond à une demande du G7 et a été portée par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Il compte aujourd’hui 195 Etats membres.
Cette structure inter-étatique, dont le siège est à Genève et incarnée par des représentants des Etats, n’est cependant qu’une partie de cette organisation hybride, dont l’autre est constituée de milliers de scientifiques du monde entier. Ces scientifiques sont organisés en trois groupes de travail et une « task force », sur les sciences physiques sur le changement climatique (groupe I), les impacts du changement climatique, l’adaptation et la vulnérabilité (groupe II), l’atténuation du changement climatique (groupe III) et la méthodologie de calcul des émissions et d’absorption de gaz à effet de serre (task force). Ils contribuent à la rédaction de rapports d’évaluation, servant de base aux négociateurs dans les enceintes internationales. Ces rapports passent en revue l’ensemble de la littérature scientifique existante pour proposer un panorama exhaustif de ce que nous savons sur les causes du changement climatique, ses impacts et les manières de réduire et de s’adapter à ces phénomènes.
Le premier rapport d’évaluation est sorti en 1990, et le prochain, le sixième, sera finalisé en septembre 2022. En plus de ces rapports d’évaluation, le GIEC produit des rapports dits « spéciaux » sur la méthodologie ou sur des thèmes plus précis, comme celui sur le réchauffement à 1.5°C, celui sur l’océan et la cryosphère ou celui sur les terres[6]. L’objectif de ces rapports est de fournir aux gouvernements les éléments nécessaires à la prise de décision en matière de politiques climatiques.
Le GIEC : scientifique ou politique ?
La question du rapport entre le scientifique et le politique est dans ce cas particulièrement prégnante. Le GIEC est une construction à la fois politique et scientifique, qui situe son travail résolument du côté de la science mais maintient l’objectif d’être « policy relevant » sans être « policy prescriptive ». Aujourd’hui, il a acquis une grande légitimité scientifique et parvient à s’imposer comme base de la discussion politique.
Les enjeux que soulèvent l’existence, le fonctionnement et l’action du GIEC ne sont pas sans rappeler les plus anciennes questions de la science politique sur l’interaction entre le savant et le politique. Cependant, là où Platon pouvait rêver d’un « philosophe-roi » dans le livre V de La République capable d’éclairer la cité grâce à son expertise désintéressée, c’est plus la prescription de Weber dans « Le Savant et le politique » que poursuit le GIEC. En effet, pour Weber, le sociologue (le savant) ne doit pas se méprendre sur son rôle et se garder de devenir prescriptif. Il faut conserver une frontière entre le savant et le politique. Comment le GIEC s’y prend-il et quels sont les défis qui se posent à lui dans cette entreprise ?
Le GIEC a réussi à construire sa crédibilité et sa légitimité grâce à plusieurs outils, le premier étant le bénévolat des chercheurs impliqués. Ce paramètre annule en effet une source importante possible de conflits d’intérêts. Le deuxième est la transparence absolue du processus d’élaboration des rapports, qui comprend de nombreux tours de relectures, un système de commentaires et l’accès à l’ensemble de la méthodologie et des données pour quiconque voudrait s’y plonger. Le GIEC ne produit pas de recherche en propre, il analyse et synthétise l’ensemble de la littérature existante pour mettre en évidence les consensus et les incertitudes scientifiques. Le rôle du « résumé pour décideurs » est à ce titre primordial. En effet, ce résumé, synthétique et accessible à la compréhension du grand public et des décideurs politiques, est approuvé à la fois par les scientifiques du GIEC et par les Etats membres. On pourrait penser que cela affaiblirait la crédibilité scientifique de ce résumé, sujet aux amendements pour raisons politiques de certains Etats, mais contribuent dans les faits à l’irréfutabilité scientifique et politique des réalités pour lesquelles les Etats négocient.
Le troisième est un rapport au politique millimétré. En effet, le GIEC entretient avec le politique une relation très particulière, qui va jusqu’à la « coproduction » de la science et du politique. Il est décrit par certains comme une « organisation-frontière » dont le travail même contribue à dessiner la ligne de partage entre ce qui relève de la science et ce qui relève du politique. Pour Beck et Mahony, il serait illusoire de penser que le GIEC est complètement distinct du politique au regard du pouvoir performatif des évaluations qu’il produit et de la tendance contemporaine à dépasser la seule fourniture de preuves scientifiques pour aller vers un rôle plus actif dans la mise en œuvre et l’évaluation des actions politiques. Le GIEC est confronté à la demande croissante d’un travail « orienté vers les solutions » (solution oriented), en grande partie pris en charge par le groupe III, celui qui suscite le plus de discussions.
Conclusion
Alors que sort le rapport du groupe II du GIEC le 28 février 2022, le rapport du scientifique et du politique doit être interrogé. Les crises comme celle du réchauffement climatique, ou de la pandémie de COVID-19 par exemple, sont un rappel sans équivoque que la politique ne peut se passer de la réalité.
Pour aller plus loin
Le rapport AR6 du GIEC : groupe I et groupe II (le rapport complet sera finalisé en septembre 2022)
La synthèse et l’analyse de Bon Pote sur le rapport du groupe I et du groupe II
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